Depuis le déclenchement de la crise diplomatique entre le Maroc et l’Espagne, plusieurs questions sont posées dans les milieux de l’importation du poulpe marocain en Espagne. Quels impacts sur les prix des céphalopodes? Quel itinéraire pour les exportations de poulpe dans le contexte de crise avec ce pays, considéré comme un gros marché pour le poulpe marocain avec plus de 70 % de la production globale?… Autant de questions actuellement soulevées par les opérateurs ibériques.
Le coup d’envoi de la nouvelle saison de pêche au poulpe a été donné ce mercredi 16 juin, pour les zones comprises entre Lagouira et Sidi L’ghazi. Selon des pêcheurs, joints par nos soins, ce même mercredi, la campagne est entamée dans un contexte très favorable, marqué par une reconstitution des ressources. Pour ce premier jour de l’ouverture de la saison d’été, chaque barque a réussi à pêcher entre 80 et 170 kilos de poulpe.
Les pêcheurs, qui craignaient une baisse de prix, se disent très satisfaits des prix actuels du poulpe, exclusivement destiné à l’exportation. «Le poulpe est très nombreux au lancement de cette campagne de pêche d’été et la demande, aussi, est là. C’est ce qui fait d’ailleurs augmenter les prix de ce produit», nous déclarait, Said un propriétaire d’une barque de pêche artisanale dans le village de pêche Lassarga à Dakhla.
Côté commercialisation, le prix moyen du kg de poulpe à la halle de poissons dans le village de pêche de Lassargua à Dakhla a été d’environ 104 DH contre 52 DH lors de la saison d’été 2020, précise notre pêcheur, ajoutant que quelque 1000 barques de pêche artisanale opèrent actuellement au niveau du village Lassargua et ont pu vendre, ce mercredi, leur produit dans la halle aux poissons.
Le département de la pêche maritime a fixé pour cette saison un quota global de capture de 13.000 tonnes de poulpe, réparti sur les trois segments de pêche, à savoir 8.190 tonnes pour le segment hauturier, 1.430 tonnes pour le segment côtier et 3.380 tonnes pour le segment artisanal à Dakhla. Le champ d’action de la flotte artisanale s’étend aux sites de N’teirift, Lbouirda, Lamhariz, Lassarga et Imoutlane, lesquels connaissent depuis quelques jours une forte dynamique suite au lancement de cette campagne d’été de la pêche au poulpe dans la zone maritime située au sud de Boujdour, entre Sidi L’ghazi et Lagouira. La nouvelle saison, qui a démarré ce mercredi 16 juin, se poursuivra jusqu’au 15 septembre 2021. A noter que cette activité est exercée par près de 12.000 pêcheurs artisanaux et mobilise 3.082 embarcations au niveau de la région de Dakhla, connue par l’abondance de cette espèce très prisée sur le plan international.
70% de la production globale bénéficie à l’Espagne
L’Espagne est actuellement un gros marché pour le poulpe marocain avec plus de 70 % de la production globale (Japon: 10 à 15 %) et Italie: 5%). Pays consommateur des céphalopodes, l’Espagne retransforme beaucoup de poulpe marocain dans des unités à Vigo et Galicia. Ces deux régions, situées au sud de l’Espagne, sont connues pour l’installation des transformateurs qui cherchent les mollusques marocains qui bénéficient d’une aura de qualité en Méditerranée. Une activité très rentable qui génère un nombre important d’emplois dans les zones concernées.
Alors que le voisin du nord se prépare à rouvrir ses portes aux touristes en juillet prochain, les propriétaires des restaurants se frottent déjà les mains pour accueillir leurs premiers clients après plusieurs mois d’arrêt d’activité.
Réputé pour sa belle qualité, le poulpe marocain est sur la carte de bon nombre de restaurants en Espagne. Mais, en ce début d’été, ces derniers redoutent que la crise politique entre le Maroc et l’Espagne ne s’étende au secteur économique. Ils ne sont pas les seuls, d’ailleurs. Les importateurs ibériques du poulpe Marocain s’inquiètent, eux-aussi. Et même plus.
Outre la forte augmentation des prix du poulpe congelé sur le plan international après le déclenchement de la crise sanitaire liée à la Covid-19, les importateurs espagnols doivent faire face à une probable riposte souveraine du Maroc face aux manœuvre hostiles de l’Espagne à l’intégrité territoriale dans le dossier du Sahara marocain.
Déjà, dans leurs milieux, on redoute que le Maroc utilise la carte de la pêche et celle des exportations de produits de la mer vers leur pays comme une mesure de rétorsion contre l’Espagne, rapportent des média ibériques.
Les statistiques démontrent que l’Espagne bénéficie amplement de l’accord de pêche avec le Maroc, d’ailleurs sur les 120 bateaux exerçant dans les eaux marocaines, 98 navires sont espagnols. Et dans ce domaine d’exportation de poulpe marocain, les premiers gagnants sont aussi les espagnols, tiennent à souligner des professionnels de la pêche artisanale à Dakhla.
Ces derniers pointent, par ailleurs, les propriétaires de certaines unités marocaines, lesquels, disent-ils, sont associés à des Espagnols et entretiennent un système de contrebande. «Des quantités importantes de poulpe de contrebande (pêché pendant le repos biologique, malgré l’interdiction) sont en ce moment stockées dans des unités qui sont louées par des Espagnols. Des milliers de tonnes de poulpe de contrebande seront exportées dans les semaines qui viennent», assurent les mêmes sources, ajoutant que «les propriétaires de ces unités arriveront à avoir «facilement» les documents nécessaires –pendant l’actuelle période de pêche autorisée- pour blanchir leur poulpe capturé pendant le repos biologique».
«Plus de 50% du quota attribué au segment de la pêche artisanale est pêché en pleine période d’arrêt d’activité», selon nos professionnels. Ceux-ci ajoutent que cette activité alimente tout un circuit où seraient impliqués propriétaires de barques, pêcheurs, intermédiaires, unités d’exportation, et même des Espagnols !
L’Apapham saisit l’Exécutif
Plusieurs questions sont posées depuis le déclenchement de la crise diplomatique entre les deux pays. Quel impact sur les prix des céphalopodes? Quel itinéraire pour les exportations de poulpe dans le contexte de crise avec l’Espagne ? «Pour les sociétés importatrices du poulpe en Espagne, les difficultés ont déjà démarré avec la crise sanitaire il y a plus d’un an. Les prix du poulpe sur le marché international ont connu une hausse », commente un professionnel de la pêche hauturière marocain. Mais, dit-il, «le point d’orgue c’est cette crise diplomatique et politique entre le Maroc et l’Espagne. Après les derniers développements concernant l’opération Marhaba, Certains opérateurs ibériques craignent une hausse des prix et n’excluent pas un changement dans l’itinéraire des exportations.
Pour le moment, on ne sait pas encore si l’itinéraire des exportations marocaines de poulpe vers le voisin du nord va changer ou pas. Mais si changement il y a, les perdants ce serait les importateurs espagnols. Car les prix du poulpe seront à ce moment là plus élevés», explique notre source, également membre de la Chambre des pêches maritimes de l’Atlantique Centre-Agadir (CPMA).
L’Association professionnelle des armateurs de la pêche hauturière au Maroc (Apapham), qui regroupe les armateurs propriétaires des chalutiers congélateurs destinés à exploiter les céphalopodes en priorité, prend, elle-aussi, au sérieux les fuites diplomatiques sur un éventuel changement de l’itinéraire des exportations du céphalopode vers le voisin du nord. D’ailleurs, son bureau exécutif vient de saisir le gouvernement marocain sur cette question, confie une source à l’Apapham.
Dans une déclaration à Le Reporter, celle-ci fait savoir que les armateurs exportateurs marocains sollicitent l’Exécutif, à titre de mesure préventive, pour les aider à surmonter les difficultés qui accompagneront de quelconques changements. «La situation reste incertaine et il y a des stocks un peu partout», souffle un autre professionnel de la pêche à Dakhla. Plusieurs contrats ont été signés pour cette nouvelle saison de pêche au poulpe, précise ce même professionnel.
Jusqu’à maintenant, il n’y a pas de changement à l’horizon dans ce domaine des exportations des produits de mer, dont notamment le poulpe, soulignent nos sources. Malgré la tension qui continue entre les deux pays, disent-elles, les conteneurs passent toujours par l’Espagne. Même si, d’autres sources à Dakhla soutiennent que le poulpe capturé durant cette saison d’été et qui sera exporté dans les prochaines semaines ne passera probablement pas par l’Espagne. En tout cas, disent-elles, «pas dans ce contexte de crise entre les deux pays».
Un dossier à suivre…
N.Cherii