Lundi 19 octobre, en présentant le Projet de Loi de finances 2021 («PLF 2021»), devant les deux Chambres du Parlement, le ministre de l’Economie, des Finances et de la Réforme de l’administration, Mohamed Benchaâboun, faisait une annonce qui a, aussitôt, soulevé une polémique, toujours en cours.
Le ministre annonçait que le projet de Loi de finances pour l’année 2021 prévoyait une contribution de solidarité dont devraient s’acquitter aussi bien les entreprises dont le bénéfice net dépasse 5 millions de dirhams, que les personnes physiques dont le salaire net annuel est supérieur à 120.000 dirhams, soit 10.000 dirhams par mois.
Bien sûr, le ministre Benchaâboun a défendu la nouvelle mesure proposée.
«Le sens de solidarité, renforcé lors de la crise sanitaire liée au Covid-19, sera consolidé à travers l’adoption d’une contribution de solidarité sur les bénéfices et revenus», a-t-il expliqué. Ajoutant que cela permettrait de récolter 5 milliards de dirhams (MMDH) qui seront versés au «Fonds d’appui à la cohésion sociale». Et de préciser que ce «Fonds d’appui à la cohésion sociale» aura des attributions plus larges qui engloberont les organismes de protection sociale ; et portera le nouveau nom de «Fonds d’Appui à la Protection sociale et à la Cohésion Sociale».
Son auditoire aura compris que le grand projet de généralisation de la protection sociale (Assurance Maladie Obligatoire/AMO, Allocations Familiales/AF, etc), qui bénéficiera notamment aux catégories précaires, a un coût que le budget de l’Etat, à lui seul, ne peut supporter.
D’ailleurs, lorsque le ministre a déclaré que le seul projet de réforme de l’AMO, étalé sur deux ans à partir de janvier 2021, nécessitera près de 14 MMDH «dont 9 MMDH financés par l’État», il ne fallait pas être diplômé de Harvard pour comprendre que ce qui ne sera pas «financé par l’Etat» -c’est-à-dire, les 5 MMDH restants- le serait par d’autres contributeurs.
L’argument de la solidarité et la contribution de tous, en ces temps de Covid-19, au bénéfice de la cohésion sociale, est difficilement récusable.
Mais il reste que le bât blesse. Et, à considérer toutes les critiques exprimées depuis l’annonce de cette «contribution de solidarité», il blesse en plusieurs endroits !
Ne retenons que ces quelques postures déconcertantes du gouvernement…
D’abord, l’effet-surprise de cette annonce, qui touche tout de même à la poche du citoyen et à la caisse de l’entreprise, moyenne entre autre…
Certes, seuls les salariés qui perçoivent 10.000 DH et plus, mensuellement, sont concernés par la contribution dont le taux prévu est de 1,5% (les petits salaires sont épargnés). De même, pour l’entreprise, 2 niveaux de contribution sont proposés. Un taux de 2,5% pour les entreprises dont le bénéfice net se situe entre 5 et 40 MDH ; et un taux de 3,5% pour celles dont le bénéfice net est supérieur à 40 MDH… Mais, une concertation préalable avec les représentants des futurs assujettis à la «contribution de solidarité» aurait sans doute évité la salve actuelle de critiques («la solidarité doit être spontanée ou être obtenue de plein gré», «on ne nous a pas consultés pour le taux», «le taux est le même pour les salaires de 10.000 DH que pour ceux de 100.000 DH», «avec ces taux, on touche au pouvoir d’achat de la classe moyenne et à la PME qu’on dit vouloir encourager», etc). Et, à défaut de concertation, ne fallait-il pas au moins une préparation de l’opinion publique… Mais le déficit de communication du gouvernement -qui lui est nuisible- reste incompréhensible !
Deuxième posture incomprise du gouvernement, c’est son manque de solidarité. Le ministre des Finances est celui qui doit présenter et défendre le PLF, oui. Mais il y a une Majorité gouvernementale qui est censée se mobiliser, parce que «solidairement responsable». Même –voire surtout- lorsque ce qui est à défendre est impopulaire. Or, M. Benchaâboun est envoyé au charbon et laissé seul face aux tirs groupés. Une sournoise retenue qui s’explique. Les partis de la Majorité gouvernementale -PJD en tête- ont des ambitions électorales qui les feront louvoyer face à leurs responsabilités jusqu’aux législatives de 2021.
Ce qui a également dérouté –et par conséquent attisé les critiques- ce sont les tergiversations autour des taux. Le gouvernement n’a-t-il pas suffisamment de concertation interne pour verrouiller ce volet avant d’en rendre publiques les dispositions ? Le fait d’annoncer un taux de 2,5% pour toutes les entreprises dont le bénéfice net est supérieur à 5 MDH ; et le double (5%) pour les opérateurs télécoms, les cimentiers et les pétroliers… Puis de se rétracter en fixant finalement 2 niveaux de taux inférieurs à 5% pour tout le monde (2,5% pour les entreprises au bénéfice net de 5 à 40 MDH et 3,5% pour toutes celles dont le bénéfice net dépasse 40 MDH, quel que soit le secteur d’activité), n’est pas du meilleur effet… Pour le moins, cela alimente les présomptions de favoritisme, voire les soupçons de lobbying qui remontent à la surface, chaque fois qu’il s’agit des pétroliers ou des opérateurs télécoms…
Bien entendu, rien n’est définitif dans le PLF 2021. Ses dispositions devront passer par les fourches caudines des deux Chambres du Parlement.
Mais, la Majorité gouvernementale devrait se ressaisir. Au-delà des petits calculs électoraux, il y a de grands objectifs nationaux en jeu: la résilience face à la crise sanitaire, la relance économique, les chantiers sociaux (Santé, Éducation), la cohésion sociale et, parallèlement à tout cela, la vigilance face aux défis et impacts extérieurs, dans un contexte mondial des plus incertains.
Bahia Amrani