Le déconfinement industriel a commencé lundi 25 mai. Selon vous, ce démarrage va-t-il réussir ?
Je pense qu’ill va se passer dans un jeu d’équilibre, je dirai très difficile à réussir parfaitement. Car, lorsqu’on parle de déconfinement industriel, le problème ne se situe pas seulement au niveau des entreprises. Il se situe aussi au niveau des moyens de transport où le contact entre les gens est plus fort. C’est vrai qu’on peut prendre des mesures. Je suppose que dans les entreprises il y aura des zones qui sont à faible risque et des zones à haut risque, même à l’intérieur d’une agglomération comme Casablanca. Mais j’imagine qu’on va surveiller un peu plus certaines zones que d’autres pour que l’application du déconfinement industriel soit la plus riguoriseuse possible. Sachant que le virus continue toujours de circuler. Cela veut dire qu’il y aura une surveillance de très près des nouveaux foyers qui vont immerger. Ceci étant, on ne peut pas continuer le confinement. Car le Maroc est en situation de saturation sur le plan économique. On est donc obligé de déconfiner d’une manière sélective et progressive, avec une surveillance très stricte et un suivi très fort des apparences de régénération du Covid-19.
Quels sont les secteurs qui pourraient avoir des difficultés à rebondir?
Il y a d’abord tout les secteurs qui sont liés au tourisme. Ces secteurs vont avoir des difficultés à rebondir. En passant par la RAM, les hôtels ou encore les services de transport touristique, tout ces secteurs vont prendre beaucoup de temps à redémarrer. A noter que si le tourisme étranger va être symbolique, on va peut être récupérer partiellement par le tourisme interne. Mais même si les résultats du déconfinement montrent des lueurs d’espoir, en général, le secteur de tourisme va être touché certainement pour un bout de temps. Je pense que la saison de 2020 pourrait être très mauvaise pour le tourisme. Il y a également les très petites entreprises qui vont avoir des difficultés à décoller. D’ailleurs, pas moins de 170.000 entreprises sont aujourd’hui en situation de difficultés. Cela signifie que ça menace aussi l’emploi. D’ailleurs, au moins 1/2 million de la population serait déjà partiellement affecté par une baisse d’activité.
Qu’en est-il des secteurs qui pourraient facilement décoller?
Certains secteurs pourraient reprendre facilement et ne seront pas dans une situation de Chao. C’est le cas par exemple des secteur électronique et de mécanique. Il y a aussi le secteur de textile qui a une petite lueur d’espoir avec la fabrication des masques. Un autre secteur qui va facilement rebondir au niveau interne et même au niveau extérieur : celui de l’agroalimentaire qui ne s’est pas arrêté durant le confinement. Puisque la distribution a continué. A noter que la demande pourrait être plus importante même au niveau externe. Certains marchés, comme la Russie, seraient prometteurs surtout avec la baisse de la production dans le secteur agricole en Europe. Je pense que les possibilités pour le Maroc de se rattraper sur ces marchés ne sont pas trop mauvaises.
La phase de l’après coronavirus fait déjà l’objet de réflexions. Selon vous, comment pourra-t–on redémarrer l’économie durant cette période?
Parallèlement à la relance et au déconfinement progressif, on est entrain de préparer la période de l’après « déconfinement industriel ». Après cette phase de redémarrage, il va falloir revoir le modèle de développement économique et réfléchir à un modèle de substitution qui soit un modèle d’investissement social. Car jusqu’à maintenant, on a fonctionné avec un modèle hérité de la pratique classique. C’est un modèle d’investissement capitalistique que ce soit au niveau de l’Etat ou au niveau du secteur privé. Puisque la plupart des investissements sont essentiellement à cractère capitalistique. Après le coronavirus, c’est surtout un modèle basé sur l’investissement social qu’il va falloir préparer. C’est d’ailleurs ce modèle que je vais proposer au comité chargé de la réflexion économique comme alternative au modèle actuel. Sachant que ce modèle d’investissement social, c’est aussi un investissement économique. Car il fait travailler des entreprises, crée des emplois et génère des revenus. Il s’agit donc d’un modèle qui crée une activité économique, mais avec une finalité de développement plus qu’une finalité commerciale. Il faut dire qu’on a beaucoup investit sur le commercial. Même le social, on est entrain de le privatiser et de le rendre commercial en créant des écoles privés, des universités privés, des cliniques privés, …etc. On est entrain de se mettre le doigt dans l’oeil. Parce que l’essentiel de l’épargne public de la société passe par les banques et les banques le privatise. C’est un modèle qui est voué à l’échec. Le Roi Mohammed VI a d’ailleurs souligné dans l’un de ses discours que l’on est entrain de vivre la fin de ce modèle et il va falloir réfléchir à un autre.
Il faut que la campagne se construise par ses propres ressources humaines et par ses propres capacités. Et surtout qu’on ne fasse pas appel à de grandes sociétés des villes pour venir investir et éponger à nouveau l’argent de la campagne vers les villes. Aujourd’hui, 40 % de la population marocaine ne vit que de l’agriculture et ne sait faire que l’agriculture et lorsque la pluie ne tombe pas il y a la crise. C’est un modèle complètement débile. Et pourtant on a vécu depuis l’indépendance jusqu’à maintenant sur ce modèle là. Certes, on a développé une grosse bourgeoisie, un grand secteur privé et une expérience très importante au niveau de la gestion des groupes economiques. On a aussi développé de grandes banques qui ont investi dans 30 pays africains. Tout cela c’est bon. Mais au dépend de l’investissement social. Il est temps de revoir les secteurs prioritaires au niveau de la campagne et préparer sa jeunesse à des cycles de formation dans tout les domaines.
Pour cela, il faudra mobiliser les fonds qui existent déjà et créer d’autres fonds. On pourrait par exemple créer des banques regionales de développement économique principalement à caractère social. Ainsi, l’argent qui n’est pas déposé dans les banques classiques pourrait -pour des motivations religieuses- s’orienter vers ces banques sociales et on fera alors d’une pierre deux coups. On activera ainsi une partie de l’épargne qui est la partie caché de l’iceberg et en même temps on pourra financer des projets sociaux dans ces régions. Ce modèle existe et il est réussi dans certains pays comme la Malaisie.
Il faut désormais s’ouvrir sur les réussites du monde. Car on a très peu d’informations sur les institutions financières qui réussissent dans le financement du social que ce soit au Canada, dans les pays scandinaves ou encore dans les pays asiatiques.
En lisant les commentaires des analystes à l’échelle internationale, nous constatons qu’il y a des remises en cause très importantes, notamment en ce qui concerne l’autosuffisance des pays. Les pays même industrialisés pensent aujourd’hui qu’il faut qu’ils soient autonomes surtout en ce qui concerne les besoins sociaux. Le Maroc devra s’intéresser maintenant au moins à un domaine social qui est la santé parce que les risques de cette pandémie – qui pourrait revenir d’ici quelques années- sont énormes. Vous imaginez, en l’espace de deux mois seulement, il y a eu 30 millions de chômeurs aux USA. C’est une catastrophe.
L’Afrique, quant à elle, n’a pas été très touchée pour le moment par l’épidémie. Mais si jamais la maladie devient très forte, eh bien ce sera la crise économique sociale toute suite. Ce sera l’effondrement. Car l’infrastructure de base n’est pas assurée dans ce continent. Quoique certains pays africains ont des capacités et ont vu leur taux de croissance frôler ces dernières années les 6%. L »Afrique c’est l’avenir du Maroc. Il devrait développer des accords avec ces pays africains pour fonder un laboratoire de recherche épidémiologique. Le Maroc va gagner énormément d’abord parce que il a des ressources très importantes. Il suffit qu’il récupère ses compétences dont des doctorants dans le domaine de la biologie qui sont un peu partout (Europe, USA…etc) pour devenir producteur de ses propres médicaments et de ses propres vaccins.