Le Maroc subit de plus en plus les effets des changements climatiques. L’ADA a élaboré une cartographie de vulnérabilité et d’adaptation au changement climatique des petits agriculteurs, dans certaines régions. Qu’en est-il des résultats de cette carte?
Les changements climatiques sont une problématique à laquelle notre pays accorde une importance particulière. L’intégration de la dimension des changements climatiques dans la mise en œuvre du Plan Maroc Vert (PMV) est essentielle. Toutefois, l’absence d’indicateurs de vulnérabilité au niveau local -avant l’élaboration de cette carte de vulnérabilité- pouvait être une source d’inefficacité. C’est pourquoi la prise en compte de ces facteurs de vulnérabilité et d’adaptation des populations locales aux effets des changements climatiques s’avérait cruciale et importante pour notre action dans le cadre du PMV. C’est ainsi que, dans le cadre de la COP 22 et afin de contribuer au succès de cet événement mondial, l’ADA, via un don du Fonds international de développement agricole (FIDA), a élaboré une cartographie de vulnérabilité aux changements climatiques des petits agriculteurs. Laquelle concerne quatre régions, à savoir Marrakech-Safi, Béni Mellal-Khénifra, Draâ-Tafilalet et Fès-Meknès. Les résultats de cette cartographie ont montré la vulnérabilité des agriculteurs face aux changements climatiques avec, bien sûr, une projection à l’horizon 2050. Ces résultats ont d’abord permis d’évaluer les facteurs d’exposition face aux changements climatiques actuels et futurs. Ils ont également permis d’identifier et d’évaluer les facteurs de sensibilité à ces changements climatiques (facteurs d’ordre biophysique, socio-économique, etc.). Par ailleurs, cet outil a permis d’évaluer l’impact potentiel de ces changements climatiques induits par la sécheresse et l’érosion causée par les pluies diluviennes. Les résultats de cette cartographie ont aussi conduit à mettre en évidence les risques futurs liés aux changements climatiques et de voir aussi dans quelle mesure ces vulnérabilités ont été prises en compte par la Stratégie Maroc vert. Il est à souligner que des mesures d’adaptation des petits agriculteurs ont été mises en évidence. Elles ont d’ailleurs été intégrées dans la conception des projets d’agriculture solidaires. A noter enfin que cette cartographie a permis d’identifier de nouveaux programmes et de nouveaux projets d’adaptation au changement climatique qu’on propose au financement par les bailleurs de fonds qui s’intéressent au climat.
Si vous nous parliez du travail réalisé par l’ADA, en matière d’adaptation aux changements climatiques…
L’ADA travaille beaucoup sur l’adaptation aux changements climatiques. Cette question est l’une des préoccupations majeures du PMV. Le but réside dans la recherche de la gestion durable de l’environnement et des ressources naturelles. A ce niveau, je dois dire que les plans agricoles régionaux, qui sont des déclinaisons régionales au niveau de chaque région du PMV, prévoient le développement des filières qui répondent parfaitement à la vocation des terrains de chaque région et, par là, une meilleure exploitation des ressources naturelles et une atténuation des effets des changements climatiques, notamment la sécheresse. Ainsi, dans le cadre du PMV, à l’horizon 2020, il est prévu de réduire la superficie céréalière de 20%, soit près d’un million d’hectares dans les régions marginales et à vocation non céréalière. Le PMV a prévu, dans le cadre de l’agriculture solidaire (pilier II), de reconvertir ces régions-là dans l’arboriculture fruitière. C’est plus rémunérant et puis, ces plantations arboricoles jouent un rôle important d’adaptation au changement climatique, tant en matière d’atténuation de la dégradation du sol qu’en termes d’amélioration des revenus. C’est important pour la stabilisation de la population et l’amélioration des conditions de leur vie. Ceci étant, il est à noter aussi que les projets de l’agriculture solidaire, que l’ADA supervise dans leur exécution avec les directions régionales de l’Agriculture, prévoient des aménagements fonciers importants, tels que les banquettes, les cuvettes, etc. Ces aménagements fonciers visent essentiellement la collecte des eaux pluviales, ce qui permet évidemment une gestion et une exploitation optimale de ces eaux, pour une meilleure adaptation à la sécheresse dans les zones où il n’y a pas d’irrigation. Cela permet aussi une meilleure préservation du sol contre l’érosion. En matière de mobilisation des financements pour les projets, l’ADA a pu lever des dons qui totalisent un montant de plus de 36 millions de dollars américains et ce, pour la mise en œuvre de huit grands programmes de projets (pilier II) intégrant l’aspect d’adaptation au changement climatique. Plusieurs bailleurs de fonds ont exprimé leur intérêt à ces programmes, notamment le Fond pour l’environnement mondial (FEM) et autres bailleurs de fonds qui ont également montré leur intérêt à ce genre de projets en matière de financement et accompagnent le PMV à ce niveau, à travers l’adaptation des petits agriculteurs au changement climatique, l’amélioration de la résilience du secteur agricole au changement climatique, la préservation de la biodiversité, etc. Il y a lieu de souligner l’accompagnement de l’Agence française de développement à travers le fonds français pour l’environnement mondial qui finance les programmes en question. A noter que l’ADA est également accréditée auprès du Fonds d’adaptation et cette accréditation nous a permis de lever des fonds pour les zones oasiennes, pour la réalisation des projets au profit des petits agriculteurs, afin d’améliorer leur condition et leur résilience face aux impactes des changements climatiques.
Le Maroc a décroché, en mars 2016, l’accréditation donnant accès au Fond vert pour le climat. Quels sont les projets que l’ADA a déjà commencé à développer avec ce Fonds, pour lutter justement contre le changement climatique?
Le Fond vert pour le climat est un grand partenaire pour l’ADA. Accrédité par ce Fond, l’Agence a saisi l’opportunité de soumettre un portefeuille d’une dizaine de projets, en conformité avec les critères d’éligibilité de ce Fonds. Pour chaque projet, on élabore une note conceptuelle qui argumente l’intérêt du projet par rapport au changement climatique. Nous avons déjà décroché un financement important pour un grand programme de développement de l’arganier (préservation des zones de production de l’arganier) au niveau du sud, dans les régions de Guelmim, Souss-Massa et Essaouira. Il s’agit d’un don de 40 millions de dollars américains. Nous avons déjà commencé l’exécution de ce programme. Nous sommes également en train de voir avec le Fonds vert, pour décrocher un autre don pour la modernisation de l’irrigation traditionnelle dans la vallée de Souss. Car il ya des zones, comme par exemple le Souss, qui continuent d’utiliser l’eau de manière traditionnelle, alors que l’eau est de plus en plus rare dans ces zones. L’un des projets importants, c’est donc d’équiper tout ces périmètres traditionnels de systèmes d’irrigation modernes et économes en eau, lesquels permettront d’économiser l’eau, mais aussi d’intensifier et d’améliorer la production agricole, tant en termes de qualité qu’en termes de quantité. C’est un don qui n’est pas encore décroché. C’est encore en cours. Il va être de l’ordre 40 millions de dollars. A savoir que nous avons déjà reçu un don de plus de 700 mille dollars, pour réaliser l’étude de faisabilité de ce projet que nous avons d’ailleurs commencée. Dans le pipe également, d’autres projets importants que nous sommes en train de préparer. Ils concernent plusieurs secteurs, comme, par exemple, le domaine d’utilisation des énergies vertes, tel le solaire dans l’agriculture et celui de l’énergie, comme l’utilisation des biogaz. Nous avons aussi un autre projet très important qui concerne la transformation, l’exploitation et la valorisation des margines et des grignons de l’olivier, notamment dans la région de Fès-Meknès, pour produire de l’électricité. Cela permettra à la fois de valoriser ces margines, au lieu de les laisser polluer l’environnement, et, d’autre part, de produire de l’énergie électrique pour soulager la facture énergique du secteur agricole. Dans d’autres régions, on va soumettre des notes conceptuelles sur des projets qui concernent la résilience au changement climatique des zones où l’impact de la sécheresse est très prononcé. L’un des projets que nous sommes d’ailleurs en train de préparer actuellement avec le Fond vert pour le climat concerne la zone de l’Oriental où un projet sera réalisé pour le développement des parcours. C’est une zone où il y a beaucoup d’activité pastorale et beaucoup d’éleveurs. Et ce projet viendra ainsi améliorer la résilience des éleveurs et des petits agriculteurs face au changement climatique. Et ce, à travers beaucoup d’aménagements pastoraux, d’équipements socio-économiques et éducatifs, au profit de ces populations. Au menu également, des projets très ambitieux sur l’amandier, ainsi qu’un projet sur les algues dans la province d’Ikhfanir dans le sud, que l’ADA prépare actuellement avec des investisseurs. Je dirais que l’avenir est très prometteur, avec le Fonds vert pour le climat et avec toute notre action. C’est-à-dire tout ce qu’on fait pour le développement et la mise en œuvre des projets ayant cette particularité d’améliorer la résilience aux changements climatiques et d’améliorer les conditions de vie des petits agriculteurs.
Comment avance aujourd’hui le pilier II du PMV et quel niveau de réalisation atteint à ce jour?
C’est l’un des piliers majeurs du PMV. Dès la mise en œuvre du PMV en 2008, l’attention a été accordée au développement de l’agriculture solidaire (pilier II). Le nombre de projets lancés depuis n’a cessé d’augmenter. Depuis la mise en œuvre de ce plan, à la date d’aujourd’hui, nous avons mis en œuvre 700 projets pilier II. C’est beaucoup. Ces projets portent sur un investissement total de 16,4 milliards de dirhams, pour une superficie totale de 804.000 hectares, avec 767.000 petits agriculteurs bénéficiaires. Il faut signaler que ces projets d’agricultures solidaires du pilier II sont entièrement financés par l’Etat, contrairement au pilier I où la part de l’investissement privé est prépondérante par rapport à l’investissement étatique. Pour les projets du pilier II, puisqu’il s’agit d’agriculture solidaire, c’est l’Etat qui prend en charge la totalité de l’investissement à travers le budget général et des investissements extérieurs qu’on décroche de nos partenaires bailleurs de fonds. D’ici à l’horizon 2020, l’Etat compte poursuivre cet effort. En 2018, par exemple, 101 nouveaux projets sont déjà programmés. Ils seront lancés au cours de cette année. Notons que, sur les 700 projets lancés depuis 2010, 212 projets sont entièrement achevés et sont aujourd’hui entre les mains des organisations professionnelles agricoles (coopératives et associations gérées par des petits agriculteurs). Cela représente plus de 165.000 hommes et femmes qui exploitent aujourd’hui 266.000 hectares qui sont complétement achevés et les autres sont en cours de réalisation. On est donc sur cette lancée et les directives de Monsieur le ministre, c’est de poursuivre cet effort et même d’accélérer le lancement et la réalisation des projets de l’agriculture solidaire. Lesquels projets portent sur différentes filières, à savoir notamment l’arboriculture, l’olivier, l’amandier, le cactus, les plantes aromatiques et médicinale, etc.
La campagne agricole 2017-2018 est caractérisée par une pluviométrie moins abondante. Les dernières pluies pourraient-elles encore la sauver?
Hamdoulillah, les pluies de janvier sont venues à point nommé et à un moment crucial. Il y avait en effet un retard, depuis le début de la campagne. Mais ce retard a commencé à être résorbé peu à peu. En effet, on a vécu certains épisodes pluvieux depuis le mois de novembre, ce qui a permis d’améliorer la situation. Les dernières pluies ont également permis d’accélérer la vente des intrants agricoles, notamment les semences sélectionnées et les engrais. Elles ont par ailleurs permis d’augmenter le rythme des emblavements et des travaux du sol et des cultures, notamment des céréales, des légumineuses, des fourrages, etc. En chiffres, le cumul national moyen s’améliore de façon très sensible. Nous sommes aujourd’hui à quelque 110 ml depuis le début de la campagne. On s’approche d’une année normale, avec les pluies qui sont encore prévues durant ce mois de janvier et, incha Allah, au cours des mois à venir. Ces pluies ont un impact positif sur l’installation des cultures, mais également un impact important sur les barrages, dont le taux de remplissage n’est pas actuellement au top. On est à peine à un taux de 33% et ces pluies vont permettre d’améliorer ce taux, notamment dans les régions où les barrages souffrent d’un manque d’eau important, comme les régions de l’Oriental, Béni Mellal, Agadir et Marrakech. Cela va permettre une alimentation des nappes phréatiques, à côté des barrages. Les dernières pluies ont aussi un impact très positif sur l’amélioration des parcours, ce qui va permettre aux éleveurs de profiter du couvert végétal pour leurs troupeaux. A signaler que le ministère a pris toutes les mesures nécessaires pour que la campagne agricole se déroule dans de meilleures conditions. Avec l’arrivée des pluies, ça va donner incha Allah de meilleurs résultats.
Après deux mois à la tête de l’ADA, quels sont aujourd’hui vos priorités? Quels objectifs souhaitez-vous atteindre, cette année, par exemple?
Mes objectifs s’inscrivent dans le cadre de la stratégie du ministère. Ses objectifs consistent, en premier lieu, à pouvoir accélérer les chantiers qui sont en cours et les projets qui sont prévus d’ici à 2020. Nous avons beaucoup de projets du pilier II en cours de réalisation, beaucoup de projets qui concernent l’investissement agricole (pilier I), notamment l’agrégation agricole et le partenariat public-privé. Et là, nous devons prendre toutes les mesures nécessaires pour superviser tous ces projets en accélérant leur mise en œuvre et lancer également tous les projets qui sont prévus pour la période 2018-2020, en vue d’atteindre les objectifs annoncés dans le cadre du PMV à l’horizon 2020. Deuxième objectif, c’est être au chevet de l’agriculteur, d’une manière générale, qu’il soit petit, moyen ou grand et donc, de l’accompagner en matière de mobilisation du foncier agricole et en matière d’accompagnement et de mise à niveau. Nous sommes une Agence qui a aussi comme objectif de promouvoir l’investissement agricole. Nous devons renforcer notre accompagnement des investisseurs dans l’agriculture. 3ème objectif, c’est améliorer et aussi accélérer toutes nos actions visant à commercialiser -à grande échelle- les produits agricoles, notamment les produits du terroir qui font partie de l’agriculture solidaire. Car, si le PMV a fait beaucoup de réalisations dans le développement des produits du terroir, le grand défi aujourd’hui, c’est la commercialisation de ces produits. C’est pourquoi l’une des missions importantes de notre Agence est de promouvoir ces produits et de faciliter l’accès aux marchés à ces producteurs qui produisent des produits du terroir. Enfin, il s’agit de renforcer la coopération à deux niveaux. D’abord avec les différents bailleurs de fonds, notamment ceux qui s’intéressent au climat, ce qu’on appelle la finance climat (le Fonds vert pour le climat, le Fonds d’adaptation, le Fonds d’environnement mondial, etc.), pour décrocher davantage de financements dans le cadre des changements climatiques, afin de financer les projets au niveau de notre pays.
Interview réalisée par Naîma Cherii