C’est une tradition pour la presse au passage à l’année nouvelle : choisir l’homme qui a marqué l’année passée. De nombreux médias ont pensé au président français, président surprise et homme nouveau : Emanuel Macron. Mais il y a d’autres choix. Il y a par exemple, l’homme de la dernière minute, l’élu du 28 décembre George Weah.
Pour la première fois dans l’histoire du monde, un ancien footballeur devient président de la république.
Voilà une nouvelle marche franchie dans la domination mondiale de ce sport qui est plus qu’un sport depuis longtemps. Et ce président est un africain, un continent dont dépend l’avenir du monde et qui domine souvent les grandes équipes du foot mondial. L’indiscutable grand joueur sera-t-il un grand président ? C’est une autre affaire et c’est très loin d’être sûr.
Mais ce vote Weah renforce l’influence de la planète-foot sur les opinions publiques et met une Afrique, si souffrante par ailleurs sur le devant de la scène mondiale, sur une note d’espoir.
Le Ballon d’or 1995 et candidat du Congress for Democratic Change a remporté 61,5% des voix lors du second tour de l’élection présidentielle, contre 38,5% au vice-président sortant Joseph Boakai.
«Mister George», enfant des bidonvilles, élu meilleur footballeur du monde en 1995 (année où il avait quitté le PSG pour le Milan AC), succède donc à Ellen Johnson Sirleaf, première femme élue présidente en Afrique en 2005. La victoire de Weah, qui s’était déjà présenté en 2005 et 2011 (cette fois en tant que vice-président), est aussi une accumulation de premières.
Premier footballeur certes, mais aussi première alternative démocratique dans un pays ou de terribles guerres civiles ont fait plus de 250.000 morts. Et enfin -peut être source de futurs problèmes- première élection d’un natif descendant des populations du pays et non des «congos», ces esclaves affranchis qui ont créé, avec l’aide des USA, le Libéria.
Le journal Le Monde a été témoin de l’explosion de joie.
«Transportées par la nouvelle qui a fait chanter, crier, pleurer et klaxonner tout au long de la soirée, des milliers de personnes célèbrent le résultat. «Je n’ai jamais vu une telle joie, témoigne une vieille dame à l’écart de la foule en ébullition. C’est comme si on avait gagné la Coupe du monde de football. Et c’est George Weah notre champion !».
Au beau milieu de la route, à Monrovia, ses partisans brandissent le portrait de «King George». Certains grimpent sur le toit des voitures, torse nu, drapeaux et vuvuzelas à la main, scandant «Georgie ! Georgie !» «Nous avons trop souffert pendant douze ans. Maintenant, c’est terminé: on va vivre», dit une femme, la voix brisée par l’émotion. A Monrovia, «l’effet George Weah» s’est propagé très vite dans tous les quartiers populaires. «C’est un enfant du ghetto. C’est la première fois, au Liberia, qu’un candidat issu de la basse caste est élu président. Ses origines jouent en sa faveur car le peuple s’identifie à lui, analyse Maurice Mahounon, docteur en sciences politiques et spécialiste du Liberia. Le vote de 2017 est un vote de jeunes. Ces Libériens, souvent au chômage, peu éduqués, ils veulent du changement».
Les partisans du président élu sont notamment persuadés qu’il est le candidat idéal pour éradiquer la corruption, endémique dans le pays. «Ils estiment que comme George Weah connaît leurs difficultés, puisqu’il les a lui-même vécues, il luttera forcément contre la corruption», poursuit le spécialiste.
Mais la tâche s’annonce gigantesque.
Au Liberia, les manques dans certains secteurs clés comme l’éducation, la santé ou les infrastructures, y compris les routes, sont criants. Selon l’Agence des Etats-Unis pour le développement international (USAID), seuls 7 % des habitants de Monrovia ont un accès régulier à l’électricité. Et malgré d’importantes ressources de minerai de fer, de caoutchouc et d’huile de palme, la majeure partie des Libériens souffrent du manque de services élémentaires comme l’eau courante et l’assainissement. Victimes du chômage, deux tiers d’entre eux survivent avec moins de deux dollars (1,7 euro) par jour.
Après quatorze années de guerre civile, la croissance de l’économie libérienne, qui était remontée pour atteindre un sommet à + 15,7 % en 2007, a stagné à nouveau, du fait de l’épidémie d’Ebola et de la chute du prix des matières premières.
Un terrible défi pour un prince du foot devenu président du Libéria.
Si le Brésilien Rai a été élu joueur du siècle dernier au Paris SG par les supporters parisiens, Weah aurait assurément pu postuler à celui de joueur le plus technique de cette même période. L’international libérien a rejoint le club de la capitale en 1992 après s’être révélé sous les couleurs de l’AS Monaco (66 buts en 149 matches). Sur le Rocher, il prend part à la fabuleuse épopée de l’ASM en Coupe des Coupes achevée par une défaite sans saveur en finale (2-0) face au Werder Brême quelques jours après le drame de Furiani. Malgré une certaine inconstance qui l’a toujours privé du titre de meilleur buteur du championnat, le longiligne attaquant est très rapidement devenu l’un des chouchous du Parc des Princes, conquis par sa puissance, ses accélérations foudroyantes et sa virtuosité d’exception pour un joueur de son gabarit (1,84 m).
Mais le président devra se méfier des mauvais gestes et des cartons rouges plus que tout autre.
Patrice Zehr